Fondamentalement, à quel moment pouvez-vous estimer que votre mix est réussi ? Bien sûr, c’est totalement subjectif mais on peut s’accorder sur le fait qu’il en existe plusieurs possibles pour un même titre, non ? Généralement, ceux qui font consensus regroupent d’une part, beaucoup d’éléments rassurants ; ceux qui appartiennent aux codes de la famille musicale concernée et d’autre part des ingrédients qui surprennent, qui sont audacieux ! La personnalité d’un mixeur reconnu va souvent s’établir sur cette balance entre confort et surprise !

Illustrations… comparaisons et… suite de l’écoute passive

Vis à vis de l’artiste avec qui vous collaborez, un deuxième élément fondamental de repère consiste à demander des exemples de titres qui inspirent ou même rebutent votre interlocuteur. Un ou deux liens vers des albums dont le producteur ou l’artiste aiment le traitement de voix, la largeur ou la lisibilité sont souvent plus édifiants que de longs discours. Par ailleurs, si vous n’êtes pas un grand habitué du type de musique dans lequel vous vous préparez à évoluer, ces écoutes auront le mérite de vous communiquer les standards du genre musical concerné… aide, elle aussi précieuse ! Votre proposition devra être écoutée avant et après d’autres morceaux qui auront été soigneusement mixés selon des codes établis. Même si vous êtes un grand créatif, inutile de chercher à révolutionner le genre tout seul, avec vos petites mains !

Phase suivante, il faut absolument dégager les caractéristiques propres de l’œuvre. Sommes-nous dans une ambiance proche et intime dont il faut à tout prix préserver la fragilité et l’émotion ou au contraire dans un univers ample et imposant ? Les arrangements sont-ils réussis et bien exécutés ? Gardez en tête qu’il est infiniment plus facile d’équilibrer une performance bien composée, bien arrangée et bien jouée. Le cas se complique sévèrement lorsqu’il s’agit de rétablir certains défauts inhérents aux étapes qui vous ont précédé.

Soignez ce moment particulier de première écoute ; par définition, vous ne serez jamais aussi proche de l’auditeur final qui lui aussi, découvrira le titre pour la première fois.

Personnellement, je sacrifie systématiquement à ce rituel, feuille de papier à la main et portable coupé, en notant toutes mes impressions majeures.

Posez-vous la question des éléments qui composent le groove de l’ensemble. Ressentez-vous des conflits entre certains d’entre eux ? Il faudra peut-être les aménager ! Il m’arrive souvent de devoir couper une croche ou une noire dans un pattern de boucle qui fonctionne bien globalement mais dont une partie très courte s’oppose à la tournerie principale et la rend bancale ! Quelquefois, il faut être plus radical encore et savoir expliquer aux intéressés qu’un élément est toxique pour le rendu de l’ensemble et qu’il faut y renon- cer. Soyez pédagogue en expliquant très précisément ce qui vous pose problème ! Un musicien peut être affectivement attaché à une prise qui lui a demandé du temps et ce, même si le résultat n’est pas très convaincant. Le rôle du mixeur est alors celui de la délicate censure dont l’idée doit être amenée avec diplomatie ! Par ailleurs, nous pouvons nous retrouver dans le cas très fréquent d’une orchestration trop fournie ; les éléments vont alors se contredire et se nuire les uns aux autres. Une règle d’analyse infaillible : moins vous avez de pistes, plus les sons peuvent être gros et prendre de la place ! Dans un arrangement trop riche, avec beaucoup d’événements simultanés, il faudra tailler, réduire, voire… choisir ! La hiérarchie naturelle est-elle bien respectée et votre point central, voix ou instrument soliste, peut-il émerger facilement de l’ensemble ? Les paroles seront-elles facilement compréhensibles. Les genres musicaux ne sont pas égaux entre eux, sur ce plan. Si la voix d’un chanteur-guitariste dans un contexte de chansons à texte peut être mixée très devant, il n’en va pas de même pour des styles dans lesquels le lead-vocal est nécessairement plus inclus ! Les usages et phonèmes de la langue anglaise, par exemple, autorisent des équilibres voix/musique que nous ne pouvons absolument pas nous permettre… ne serait-ce que sur un plan de pure compréhension du texte.

Vient ensuite l’étude de la chronologie des événements : la fameuse timeline du titre. La structure est-elle équilibrée ? Permet-elle une évolution harmonieuse et contrastée ? Le titre n’est-il tout simplement pas trop long ? Dans le cadre d’une écoute de maison de disques par exemple, les éléments de séduction doivent arriver assez rapidement. Un célèbre adage des années 80 disait qu’une chanson réussie devait « se vendre dans la première minute ». Enfin, il est évidemment nécessaire d’analyser la qualité technique des pistes. Il faut à la fois déterminer leur spectre, leur clarté et leur profondeur, ainsi que leur dynamique naturelle. Là encore, quelques explications sur les circonstances de prises ou, mieux, des photos de place- ment et choix des micros peuvent vous aider à y voir clair ! Si certains sons issus de la programmation vous semblent ternes ou mal choisis et si vous disposez encore des pistes MIDI (réclamez-les, s’il le faut !), il peut être intéressant d’envisager de les remplacer ou de les compléter. Durant cette phase de prise de contact avec le morceau, votre objectif doit être de vous construire une image mentale de ce que vous voulez obtenir. Personne ne s’intéresserait à la virtuosité incroyable d’un musicien qui jouerait « hors sujet » ! Il en va de même pour un bon ingénieur du son ! Sa technique doit lui permettre de bien évaluer le contexte et de choisir les solutions plus adaptées parmi un grand nombre de possibilités afin de cadrer avec une vision claire et efficace du titre. La différence entre un mixeur aguerri et un débutant va notamment se jouer sur la taille de cette fameuse « trousse à outils » et sur sa faculté à la mettre en œuvre dans le temps qui lui est imparti. Pour ma part, lorsque je rencontre un problème spécifique, je vais souvent avoir quelques antidotes en tête et je vais les essayer par ordre de préférence. Je me livre régulièrement à l’exercice qui consiste à mixer contre la montre. Une session dans laquelle vous devez avoir dégagé l’essentiel en une heure est très formatrice. Bien sûr vous devrez renoncer à certaines finitions, mais vous aurez acquis une véritable habileté à construire rapidement la colonne vertébrale du mélange… celle sans laquelle aucun véritable mix ne peut exister !

Fixez-vous des impératifs de temps pour les différentes étapes. Ils structureront votre démarche et éviteront l’écueil le plus fréquemment rencontré chez les débutants : la dispersion. Si vous manquez cet objectif, analysez le poste chronophage et travaillez tout particulièrement ce point à l’avenir. Voici une deuxième qualité intrinsèque du mixeur aguerri : l’homogénéité des résultats ! On m’a quelquefois félicité pour un mix que je ne trouvais pas particulièrement réussi… mais dont le niveau était apparemment suffisant pour satisfaire le client ! Bien sûr, comme rien n’est simple, les projets débutants, et quelquefois maladroits, sont souvent confiés à des ingénieurs du son qui manquent, eux aussi, d’expérience ! Et pourtant, il va vous falloir faire preuve de discernement en ayant un diagnostic fiable et réaliste puisqu’il est inutile de vous attaquer à l’impossible.

Le diagnostique est donc ainsi l’un de mes mots fétiches, en matière de production audio. Si vous avez un niveau technique modeste mais un diagnostique très sûr, le peu que vous aurez fait vous aura rapproché de l’objectif et votre marge de progression demeurera immense. L’inverse n’est pas vrai : un super technicien qui a mal défini son objectif sera tout simplement hors sujet… Il a peu de chance de survivre au naufrage !