Voici la troisième et dernière partie de l’article invité de mon ami Léo Chupin,  (Captain Chup’ ) J’ai pris la liberté d’ajouter quelques notes au texte initial de Léo.

Ce 3è volet évoque un sujet qui m’est cher: celui du Decca Tree. J’ai personnellement renoué avec ce mode de prise de son il y a de nombreuses années et nous l’appliquons souvent au sein d’OffTraX, la cellule d’enregistrement Hi-Res que nous avons monté avec Olivier Marzullo.

L’arbre Decca

Comment parler du M50 sans parler de l’arbre Decca ?? Hein ! Je vous le demande !

C’est à partir de trois micros Neumann que les ingénieurs des studios Decca ont inventé l’arbre Decca ou « Decca Tree » en 1954. Depuis, cette technique d’enregistrement a fait son chemin et s’est imposée comme la prise de son de référence pour les orchestres et les musiques de film.

Si vous regardez les photos des sessions de musique de film dans le studio 1 d’Abbey Road, il y a toujours au moins un arbre Decca avec des M50 ! Toutes les bandes originales de vos films préférés : Indiana Jones, Star Wars, Harry Potter, RoboCop, Alien, etc ont été enregistrées avec un arbre Decca de M50 (renforcé de micros de proximité).

Particulièrement adapté à l’orchestre, l’arbre Decca produit un angle très large et “3D”. Il permet de conserver une excellente image et séparation des timbres et instruments, lors des différents encodages utilisés par le cinéma (mono, stéréo, LCR, 5.1 etc). Cela peut s’expliquer car le son arrive d’abord au micro central puis se diffuse sur les côtés et garanti que l’image sera claire et focalisée dans le centre. Cela est un véritable « plus » par rapport aux couples stéréo traditionnels dont le centre est « virtuel » et donc moins « puissant » ou « précis ».

Petite histoire de l’arbre Decca

L’arbre Decca trouve son origine en Mars 1954 lors d’une session pour le Mantovani Orchestra au studio Decca de Londres enregistré par les ingénieurs Roy Wallace et Arthur Haddy. C’est alors les débuts discrets de la stéréo en studio et le temps est à l’expérimentation. Il n’y a pas de précédent et tout est à inventer.

Ils rassemblent alors des pieds de micros en forme de T et fixent trois M49 aux extrémités dans une structure beaucoup plus rapprochée que celle à laquelle nous sommes désormais habitués. Le système était localisé en hauteur, derrière le chef d’orchestre. Il s’agissait une fois de plus de recréer la perception d’une tête humaine et de se rapprocher du point d’audition central du « conductor ».

Ils trouvèrent que cela ressemblait à un arbre de Noël et le nom est resté.

A cette époque les micros sont encore assez proches et lors des premières années, ils expérimentent les placements avec différents capteurs Neumann (KM53, KM56 et M50) mais aussi avec des panneaux pour isoler les micros entre eux et éviter la diaphonie d’un micro à l’autre. Le M50 qui avait finalement été retenu étant omnidirectionnel, ils craignaient de perdre la précision dans le centre de l’image. Il découvrirent plus tard que les panneaux n’étaient pas nécessaires et que les micros n’avaient pas besoin d’être aussi rapprochés.

Vienne, Juin 1958. Arbre Decca désigné par Roy Wallace et utilisé à Vienne entre 1955 et 1958

Plus tard, les ingénieurs de Decca Ken Wilkinson et Stan Goodall firent évoluer ces expérimentations vers l’arbre Decca que nous connaissons aujourd’hui soit trois M50 séparés d’environ 2 mètres latéralement et d’environ 1m50 dans la profondeur.

le classique

Chez Decca à l’époque, il existait entre 7 et 8 formations d’arbres différents avec des combinaisons de micros Neumann variées.

Deux philosophies principales se distinguaient :

– Celle de Roy Wallace qui utilisait l’arbre tout seul et cela reproduisait cette magnifique image en 3D.

– Celle de Kenneth Wilkinson qui ajoutait des appoints (outriggers) sur les extérieurs se concentrant sur les violons à jardin et sur les cellos à cour.

Londres, 1960, on remarque les micros d’appoint sur les côtés de la philosophie Wilkinson.

Les philosophies d’origines finirent par fusionner. Mais jusque dans les années 60, les panneaux entre les micros sont encore parfois utilisés. C’est finalement en 1964 que la configuration standard est adoptée par tous. Avec en plus un micro au centre au-dessus de l’orchestre (on le voit bien sur la photo précédente) et des appoints sur les côtés.

Mars 1962 Decca tree avec un KM56 au centre et toujours des expérimentations avec les panneaux.
Vienne, année 70, Decca Tree abouti avec micros d’appoints au centre et sur les cotés.

Désormais, pour toutes les grandes sessions d’orchestre, il est habituel de retrouver un grand nombre de micros d’appoints, par pupitre ou même par instrument. Mais l’arbre Decca, lui, est toujours là !

Lorsque les appoints de pupitres sont utilisés, il convient évidemment de les retarder afin d’assurer la mise en phase du dispositif dans sa globalité. Personnellement, il m’arrive de jouer trèlégèrement sur ces valeurs de délais pour ouvrir légèrement une scène sonore ou au contraire, rendre le « spot microphone » plus discret.

Studio 1 d’Abbey Road Londres

De nombreuses configurations, modifications et évolutions d’arbres Decca existent : hauteurs, distances, nombres de micros… Il y a même un livre très pointu et assez rare qui les référence tous.

On notera ici le Fukada Tree, un arbre de 7 micros cardioïdes et omni inventé par Akira Fukada pour le Broadcast Japonais.

Ainsi que l’OCT array (Optimized Cardioid Triangle).

Un arbre de 5 micros destiné au surround inventé par Günther Theile

Dédié aux grands espaces, le Decca-Tree dans ses deux principales versions (3 et 5 capteurs… avec ou sans outriggers), est un outil assez magique qui allie la largeur d’un couple en « grand AB » avec la précision d »un micro central appairé. Equipé de M50 ou M150, il offre une largeur et une profondeur inégalées lorsqu’il est proportionné à la source sonore.

Ce système n’est pas véritablement normé. Il est d’usage de réduire le gain du micro central de 3dB par rapport aux capteurs latéraux et il peut même être intéressant d’utiliser des Decca moins larges sur des formations plus réduites que l’orchestre au grand complet.

L’auteur : Léo Chupin « Captain chup » est ingénieur du son, réalisateur/producer et assistant aux Studios de Meudon. Il est diplômé de l’Abbey Road Institute Paris.