Ceci est un « article invité » et un emprunt au blog de Pierre Emberger que je vous recommande vivement. C’est lui qui mène cette interview… Cet article est également issu du magazine KR auquel nous collaborons tous les deux régulièrement. Par ailleurs, les trois autres ingénieurs qui sont interrogés sur cette thématique sont tous des amis proches dont je respecte profondément le point de vue et le travail…
Si nous avons tous des manières de faire ou des trucs et astuces qui nous sont propres, il reste clair que nous apportons un soin tout particulier à l’enregistrement des voix qui constitueront très souvent la clé de voute de l’édifice sonore!
Nous avons interrogé quatre ingénieurs du son reconnus dans le métier depuis de longues années. Mark Haliday et Ludovic Lanen ont fait leurs armes aux mythiques studios d’Hérouville, Patrice Lazareff a officié durant longtemps aux studios Davout et Plus 30 et Pierre Jacquot jouit d’une expérience internationale. Chacun nous explique en quelques mots sa méthode de captation de la voix et comment il entretient sa relation avec le chanteur durant la session.
par Pierre Emberger . (Ouverture : © Pierre Jacquot)
Viser une prise propre
Le cœur de la prise, c’est une chaîne cohérente entre l’acoustique de la pièce, le préampli, le compresseur et la balance casque. Mark Haliday (figure 1) vise une prise propre quitte à encrasser/colorer après, et ça commence par la pièce, qui doit être neutre mais pas sourde.
Figure 1
Il fixe un Neumann U 67 / U 87 et quelquefois un U 47 FET sur une perche si possible de taille importante afin de pouvoir éloigner le trépied du chanteur. Disposer d’un pied de micro imposant évite que le chanteur vienne taper contre lui, et cela permet aussi de mieux positionner le pupitre sur lequel il pose son texte. « Attention à l’angle du pupitre pour ne pas renvoyer le son de la voix vers le micro et interférer avec la captation ! » Après l’installation d’un filtre anti-pop (figure 2),
Mark Haliday s’attaque au préampli et en profite pour appliquer un passe-haut vers 80 Hz, voire même à 90/100 Hz s’il s’agit de capter une voix de femme. Ensuite, il emploie le plus souvent un UA 1176 pour compresser la voix avec un taux de 4:1, pour 5 à 7 dB maxi de réduction de gain affichée sur le vumètre dans les parties fortes. Le tout avec des temps d’attaque et de release très courts. Pourquoi ? « Dans les parties fortes où la réduction est au plus fort, il faut que le release revienne très vite pour ne pas manger la fin du mot, voire même le début du mot suivant. Quant à l’attaque, si elle est trop longue, on fabrique des attaques artificielles peu souhaitables au stade de la prise, car le but est juste de réduire la plage de dynamique de la voix de la façon la plus transparente possible pour qu’elle s’insère mieux dans la musique, et c’est d’ailleurs plus agréable pour le chanteur au casque. Je règle le gain du préampli pour éviter que ça compresse trop et je fais attention à ce que le compresseur ne travaille presque pas dans les moments faibles. » Mark Haliday n’applique que rarement une EQ à la prise, hormis parfois pour creuser un peu les bas-médiums, et n’utilise le plus souvent que le filtre passe-haut. Parfois c’est la distance entre l’écran anti-pop et le micro qui permet de contrôler les graves des chanteurs, voire les chanteurs eux-mêmes lorsqu’ils « bouffent » le micro à l’excès, les habitudes du live ayant un peu la vie dure…
Il estime qu’il faut apporter un soin particulier au retour casque de la voix, en minimisant les latences numériques, avec un peu de réverb mais sans excès, ainsi qu’à la balance casque des instruments qui doit être en stéréo et bien réalisée pour entourer et de fait libérer le chanteur. Attention, une voix forte dans le casque fait qu’il ne met pas l’intensité qu’il faut, et l’inverse est tout aussi valable. Enfin, toujours enregistrer le chanteur même lors du tour de chauffe et des voix témoins : la prise de génie n’est jamais prévisible.
Le choix du microphone durant les voix témoins
D’après Ludovic Lanen (figure 3), la première chose à faire est d’essayer des microphones différents, car ce n’est pas forcément celui auquel on pense qui fera l’affaire. Et comme il est difficile d’exiger de certains chanteurs qu’ils passent une heure pour faire des essais, c’est donc au moment des voix témoins qu’on fait ce type d’opération. S’il faut du temps et un peu de patience, il ne faut pas enrayer l’énergie de la spontanéité quand il s’agira de faire les prises. Ludovic Lanen fixe systématiquement un anti-pop pour la captation de proximité, sauf pour les voix douces, mais il faut que le chanteur respecte une certaine distance. À ce stade, il procède au travail de correction sur les bas-médiums et sur les graves, notamment aux alentours de 100/120/150/200 Hz afin de retirer de la prise ce qu’on appelle le bas de poitrine (les fameux « mm »). Place ensuite aux aigus où il corrige à 10 kHz et rajoute de la présence sur la voix entre 2,5 et 3,5 kHz. Enfin, il applique un coupe-bas à 80 Hz contre les effets de rumbling. Quant à la compression, elle est légère avec une attaque rapide de 10 ms, un release de 150 ms et un taux de compression fixé à 4. Légère car après la prise impossible de décompresser.
« La psychologie de l’ingénieur du son est de s’adapter à celle du chanteur, si certains enregistrent avec le casque, d’autres préfèrent les écoutes au détriment de la qualité de la prise, mais l’interprétation passe au devant. »
Jouer avec le positionnement du microphone
figure 4
Pierre Jacquot (figure 4) utilise des micros à large membrane, tels le Neumann U 47 ou le Telefunken ELA M251. Puisqu’ils sont très sensibles aux plosives, il va surveiller la distance entre le chanteur et le micro, d’autant qu’à ce jeu-là, il rend l’artiste responsable de sa distance en lui donnant des repères visuels. Pierre est très attentif au positionnement du chanteur. Certains sont des chanteurs de proximité et d’autres disposent d’une voix qui a besoin d’air. Il utilise la technique du poing fermé + main ouverte ou simple main ouverte ou encore les deux mains ouvertes s’il faut que le chanteur se maintienne loin du micro.
Il déclare : « Si je m’aperçois qu’il est gestionnaire de sa distance, je vais placer le micro en hauteur(figure 5), et comme je sais qu’il ne va pas lever la tête, l’essentiel du flux d’air des plosives et des sifflantes ne sera pas trop présent dans la prise. En plus, à hauteur du front, on capte plus de grave. Je réitère cette pratique que l’on retrouve souvent dans le théâtre où on cache dans les perruques des micros omni à électret qui développent un rendu assez grave justement. C’est intéressant d’aller chercher ce genre de choses. » S’il ne désire pas mettre d’anti-pop, il place deux micros : le premier est factice à hauteur de la bouche, vers lequel va se diriger le flux d’air ainsi que plosives et sifflantes, pendant que le second micro, lui, servira réellement à la captation (figure 6).
figure 6
Pierre applique un coupe-bas en général une octave en dessous du son utile ; si la voix descend dans les 120 Hz, il le déclenchera à 60 Hz. Il faut éviter de capter les vibrations autour du micro et ça commence avec les accessoires. Il veille à bien enrouler le câble par exemple. Il emploie le compresseur LA-2A mais uniquement pour rechercher une compression de couleur, il s’agit de réduire les crêtes de 2/3 dB pour densifier et arrondir la voix et ce, grâce à la lenteur de l’attaque et du release du LA-2A. Le raisonnement de couleur est aussi en vigueur pour l’égalisation. À un Neumann U 47 couplé à un LA-2A, il choisit un Neve 1073 qui fait émerger la voix dans les 1,6 kHz. Par ailleurs, si la voix ne siffle pas, il rajoute 1 à 2 dB à 12 kHz pour plus de précision et d’air dans la voix. « EQ et compression doivent être appliquées légèrement, mais elles ne sont pas indispensables ! »
L’aspect psychologique fait tout !
Figure 7
D’après Patrice Lazareff (figure 7), le choix du micro dépend du chanteur, du morceau et de ce que l’on a à faire. « Il n’existe pas vraiment de règles. S’il s’agit de faire une voix clean, j’utilise un micro à large capsule. Si je dois faire des re-re sur un enregistrement live, alors j’essaye d’employer le même micro, souvent de type dynamique, à l’image du Shure SM58, pour bien coller à l’ambiance. » En studio, sa méthode, avant de procéder à la captation, consiste à essayer deux micros, pas plus, histoire de voir celui qui est le mieux adapté. Dans certains cas, il lui arrive d’en installer deux en même temps : le premier est un micro à ruban, ou dynamique type SM7/SM58 pour les parties de voix dans lesquelles le chanteur hurle, le second est un électrostatique, qui, lorsque le chanteur interprète sans exagération les parties, est là pour délivrer le rendu studio que l’on connaît. Ensuite, vient la question du niveau de maîtrise du chanteur dans la prise de son en studio et de l’effet rendu. On peut donc jouer avec l’effet de proximité du micro, mais pour cela il faut qu’il ait de l’expérience, et si ce n’est pas le cas, Patrice Lazareff place un anti-pop à 10 cm du micro afin d’éviter que le chanteur ne s’approche trop près.
Côté préampli, il emploie le Summit TPA-200B quand les prises se font dans son studio. Le plus souvent, il ajoute compresseur et égalisation à l’écoute mais pas à l’enregistrement lui-même.
Mais le point le plus important dans la captation réside dans la psychologie, c’est elle qui d’après lui fait tout ! Il déclare : « Il existe une différence dans la manière d’entretenir les rapports entre musiciens et chanteurs. Si l’on demande de refaire la prise au musicien ou bien si on doit lui faire des reproches, on s’attaque à sa technique, alors qu’avec le chanteur on s’attaque à sa personne, en tout cas il le ressent comme ça. La voix est un instrument particulier, surtout dans le domaine de la variété/rock. L’aspect psychologique est beaucoup plus subtil, laissant la technique sur le plan secondaire. »
Figure 1 : Mark Haliday au studio Family. (© Studio Family)
Figure 2 : Anti-pop monté devant le micro. (© Pierre Jacquot)
Figure 3 : Ludovic Lanen. (© Ludovic Lanen)
Figure 4 : Pierre Jacquot. (© Pierre Jacquot)
Figure 5 : Microphone positionné en hauteur. (© Pierre Jacquot)
Figure 6 : Micro factice et micro pour prise. (© Pierre Jacquot)
Figure 7 : Patrice Lazareff. (© Patrice Lazareff)
Il y a 2 Commentaires
Bonjour. Merci pour ces bons conceils, dommage qu’on ne parle pas de directivité, l’omni est ma préférée, elle permet pour une prise de proximité du chant en s’acquitant en grande partie de l’effet de proximité qui pour ma voix me semble catastrophique. S’éloigner du micro n’est pas toujours possible, quand on veut garder le chant témoin et que l’on joue de la guitare simultanément, la diaphonie entre le chant et la guitae n’est plus gérable. J’avoue que si j’avais lu ce que je viens d’écrire, ils des années cela m’aurait épargner bien des soucis et sans doute fait faire beaucoup d’éconnomie.
Merci pour ce commentaire pertinent. Lorsqu’il n’est pas désiré, c’est vrai que l’effet de proximité colore beaucoup…surtout sur un large diaphragme!! En même temps, que seraient un U47 à lampe ou un M49 sans lui? Le défaut devient alors qualité!
Mais c’est vrai, il est difficile d’aborder tous les thèmes dans une interview de ce type et il y a bien des cas où comme vous, j’opte pour un micro omni et quelquefois même… pour un petit diaphragme!!