Les techniques de mixage et de mastering sont-elles destinées à passer entre toutes les mains ?

La révolution du home studio, le « tout ordinateur » a donné la parole à tous ou presque. On ne peut qu’applaudir à une telle démocratisation, même si le fait de posséder un traitement de texte ne fait pas forcément de vous un écrivain ni même un imprimeur. Il faut bien reconnaitre que la simplification drastique de la chaine de production comporte avantages et inconvénients. Les artistes et les producteurs lorgnaient d’ailleurs sur la maîtrise de l’outil technique depuis longtemps ! En dehors de l’intervention de grands noms à forte valeur ajoutée, le maillon « interface humaine » du technicien derrière sa console était souvent ressenti comme une contrainte ou une dilution de l’idée créatrice. Nous avons donc vu notre métier d’ingénieurs migrer par étapes. Il a tout d’abord fallu nous spécialiser dans les grosses productions, les seules qui pouvaient encore s’offrir nos services ! Par la suite les prises de sons les plus techniques nous ont été réservées, telles que les cordes, les batteries ou les groupes qui jouaient « live »… Bref, tout ce qui ne pouvait pas être réalisé dans de modestes home-studios et sans le soutien d’une véritable logistique et surtout d’une sérieuse expérience. Les maisons de disques nous ont ensuite proposé le simple mixage des enregistrements « home made »… Il n’était d’ailleurs pas rare que ces demandes arrivent à l’issue de tentatives « peu convaincantes » de mix à la maison. Aujourd’hui enfin, les demandes de mastering par stems sont nombreuses. Ne nous voilons pas la face, il s’agit en fait de relire et de rectifier techniquement des mixages imparfaits en un minimum de temps.

J’observe tout de même un revirement de tendance et il m’arrive aujourd’hui de mixer pour des producteurs qui avaient pris l’habitude de tout faire eux-mêmes, à la maison. Ils s’étonnent de la richesse et des possibilités que peuvent apporter des mixeurs professionnels. Pourtant, si nous réfléchissons au temps qu’il nous a fallu pour façonner notre savoir faire, pour accumuler notre expérience à force de rencontres, de tentatives, d’échecs mémorables et de succès bien sûr, ce n’est pas très étonnant que nous puissions apporter un éclairage nouveau. Pas très surprenant non plus que nous ayons plus d’un tour dans notre sac pour nous dépêtrer de situations qui paraissent inextricables à des mixeurs novices! En tant que « nouveaux arrivants » nous sommes forcément plus objectifs, plus efficaces et notre rôle nous permet un certain détachement, une mise en perspective qui… finalement, nous rapproche un peu de la position de l’auditeur final !

Concernant le mastering, le constat est encore plus tranché puisque ce maillon de la chaine n’est fait que de l’expérience d’une oreille exercée et objective. Le talon d’Achille de cette méthode du « tout-tout-seul » réside sans doute dans cette autarcie forcenée: composer, jouer, enregistrer et mixer seul prive l’artiste de dialogue, de contacts et d’échanges… Seuls les visionnaires habités peuvent alors s’en sortir ! Je ne crois pas à la disparition de notre espèce, même si sa raréfaction sonne comme une évidence. Notre fonction de miroir, de trait d’union entre le créateur et son public et de metteur en page de l’idée musicale fait de nous le partenaire durable de la majorité des productions haut de gamme.