La qualité sonore (III): “L’Expertise” de nos futurs ingé son?

Dans un dossier consacré à la mutation vertigineuse des « métiers du son » face à la nouvelle donne du marché de la musique, Pierre Jacquot, après ses deux premiers articles  ICI et ICI revient pour un troisième article toujours consacré aux évolutions du son.

Tout d’abord, pardon pour cette interruption momentanée de l’image et du son… Je me suis fait quelque peu attendre ! Aujourd’hui, il me parait primordial de retracer sommairement l’itinéraire de ce que fût tout d’abord l’enregistrement sonore afin de mieux en situer l’enjeu actuel.

En quoi la disparition des grands studios affecte-t-elle la formation de nos futurs (grands) ingénieurs du son ? La notion même d’expertise reviendra-t-elle au premier rang des demandes des producteurs de musique ?

Au fil du temps

Parcourons rapidement l’historique de cette activité avant de rejoindre nos années CD. Evoquons très brièvement la période qui précède l’enregistrement multipiste. Bien que passionnante, elle relève de l’histoire pure et fût consacrée à inventer et affiner une technologie permettant la restitution domestique du son dans de bonnes conditions. Des balbutiements des pionniers du XIXe, elle court jusqu’à l’avènement du vinyle au début des années 50. Cette dernière étape s’avèrera majeure. Le microsillon permettra d’industrialiser la reproduction des enregistrements destinés aux ventes de masse qui en sont friandes. Il ne faut pas oublier que les années d’après-guerre furent, par définition créatives, récréatives, insouciantes et productives. Le disque et la musique représentaient le vecteur rêvé d’une jeunesse éprise d’évasion… Période bénie pour l’industrie de la musique et les studios d’enregistrement.

Quelques points de repère

Le public applaudira tout d’abord l’apparition de la stéréo et les professionnels, surtout celle du magnétophone multipiste dans la deuxième partie des années 60. Ce dernier changera définitivement la pratique du studio et ses méthodes, transformant la prestation simultanée de l’ensemble des exécutants en une multitude de phases dédiées à chacun d’entre eux. Une véritable révolution : le guitariste pourra désormais proposer plusieurs versions de son solo, le chanteur pourra « refaire » sa voix sans obliger l’orchestre entier à réinterpréter le titre ! Très vite les possibilités de montage et de compilation de plusieurs pistes viendront compléter cette panoplie aux possibilités devenues infinies ! Les Beatles englobent à eux seuls cette évolution puisqu’ils débutent leur discographie en deux pistes au début des années 60, passent par les 4, 8 et 16 pistes et poursuivront leurs carrières solo respectives en 24 pistes.

La chance de côtoyer les premiers ingénieurs du son modernes

Claude WAGNER fût assistant des fameuses « blouses blanches », les « preneurs de son » de l’époque ! Ils n’avaient pas encore inventé le « métier » à part entière et Claude fût l’un des tout premiers à intégrer une forte composante artistique à sa fonction! Ses pairs n’étaient que des techniciens purs et durs. Roger ROCHE ouDominique Poncet furent de grands ingénieurs et Rolland Guillotel débuta sa carrière en tant qu’apprenti de ces grands professionnels! J’ai moi-même eu Stéphane REICHART comme assistant aux studios Davout, il est aujourd’hui devenu un ingénieur majeur dans l’art de la prise de son d’orchestre !

virginieberger.com

Le métier se structure…

A cet instant, il faut bien reconnaitre que l’avance accumulée par les anglo-saxons dans notre corporation est avérée. Nos voisins d’outre manche ont inventé les métiers du son qui accompagnaient les genres musicaux qu’ils introduisaient ! Nous allons courir longtemps après ces rêves anglais et américains… détail amusant, le terme même d’ingénieur du son est impropre car il ne provient que d’une traduction phonétique de Sound Engineer, « technicien du son ».

Eddie Barclay aura l’idée lumineuse de recruter Gerhard Lehner, ingénieur du son allemand qui apportera de la rigueur et de la méthode au son français dans son studio ultra-moderne de l’avenue Hoche. Brel, Nougaro et Eddy Mitchell enregistreront sous sa houlette. Le célébrissime Quincy Jones élira même domicile durant de nombreux mois en tant qu’arrangeur maison dans ce temple de la création.

… Et disparaît

En évoquant l’histoire des lieux magiques qui ont vu l’art de l’enregistrement s’affiner et aboutir, nous devons également évoquer leur disparition. De fait, il en découle d’ailleurs directement une autre problématique : Les grands studios étaient avant tout des lieux de transmission du savoir… Les ingénieurs confirmés avaient presque tous été les assistants de leurs prédécesseurs et formaient systématiquement leurs successeurs, comme le dit très justement mon ami Patrice Lazareff dans un article visionnaire que je vous recommande chaudement « Formation ou Initiation? » écrit… en décembre 1998 !

Et l’avenir alors ?

Plusieurs hypothèses émergent à ce jour. Bien entendu, les grandes écoles se sont établies, structurées et proposent aujourd’hui un enseignement de qualité. Les possibilités de formations volontaires et payantes sont légions. En revanche, peu sont à même de proposer un temps de travaux pratiques suffisant à leurs élèves et il faut pourtant bien reconnaitre que si la théorie est bien enseignée, (sans doute mieux qu’elle ne le fût autrefois, d’ailleurs), il en va totalement autrement de la pratique elle-même ! Nombre de mes stagiaires ou assistants d’aujourd’hui se plaignent, au sortir de leurs grandes écoles reconnues, d’avoir peu pratiqué, de ne pas avoir passé suffisamment de temps derrière des consoles de mixage.

Lorsqu’ils l’ont fait, les expériences ont été ponctuelles et collectives, les privant des notions de relations de cause à effet ou de responsabilité individuelle des projets menés. Aujourd’hui, après deux ou trois années d’école, nos aspirants « ingé-son » se trouvent dans la quasi obligation de se faire embaucher dans des structures de production… C’est le serpent qui se mord la queue !  Autre cas de figure, il arrive également que le « passage de flambeau » soit filial, le parallèle avec l’aspect artisanal de notre métier prend alors tout son sens ! Ces savoir-faire sont complexes et doivent être enrichis d’expérience, on ne peut parier exclusivement que sur la simplification à outrance des outils. Le fait de savoir agencer le son peut-il remplacer un professionnel aguerri ? Le réalisateur-musicien peut il se substituer à l’ingénieur du son ? Certains genres musicaux s’accommoderont sans doute de ce déplacement du domaine d’expertise mais ce raisonnement ne peut en aucun cas être général. Comme beaucoup de mes confrères, j’ai été consulté à de nombreuses reprises, durant ces dernières années, afin de « sauver » des projets qui avaient « mal démarré » ou qui avaient été programmés dans des structures domestiques et qui ne « sonnaient pas » comme ils l’auraient dû.

Qu’on se le dise une fois pour toutes, rien ne remplace une bonne prise de son, aux micros et à l’acoustique choisis, avec une véritable direction artistique. Un système à deux vitesses découle donc du contexte et de la genèse des projets musicaux. L’exigence de production reste d’actualité.

L’article original dans les colonnes du blog DBTH

La qualité sonore (III): “L’Expertise” de nos futurs ingé son?