Pour une rentrée en douceur, et avant de reprendre notre progression pédagogique, j’ai voulu vous soumettre une série de 3 articles qui avaient été publiés sur le blog DBTH de Virginie BERGER en 2013. Il s’agit d’une sorte de réflexion de fond sur les formats audio et leur incidence sur notre perception musicale… Ce débat avait enflammé les internautes, à l’époque!

Premier volet aujourd’hui.

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Moteur ! Parlons un peu… d’un sujet qui m’interpelle : la mutation vertigineuse des « métiers du son » face à la nouvelle donne du marché de la musique.

A cheval sur plusieurs époques, – un « bon 35 ans » que je fréquente les consoles de France et de Navarre, j’ai donc été confronté au défilement accéléré du paysage, un peu à la manière d’un voyageur de TGV. S’agirait-il de la disparition des dinosaures ? Pas si sûr !

Je profite donc de ma quadruple casquette de réalisateur de disques, d’ingénieur du son, (live, TV et studio),  d’ingénieur de mastering, et enfin de formateur, pour entamer cette démarche volontaire, presque militante qui, loin de prétendre donner des leçons, souhaite apporter un éclairage « de l’intérieur », avec l’humble ambition de faire réfléchir à la fois les acteurs du monde de la musique et tout simplement les mélomanes… bref, ceux qui ressentent le profond bouleversement du rapport son/musique et de la qualité du son. Je sais qu’ils sont nombreux !

Soyons clairs, si cette qualité sonore s’amenuise encore et disparait, elle  engloutira avec elle toute une filière et nous emmènera tout droit vers une paupérisation du gout.

Le son est avant tout une sensation mise au service d’une émotion qu’est la musique. En changeant la restitution d’un son, on en modifie la substance, la matière, le ressenti et donc finalement les habitudes et les exigences de l’auditeur.

Le voyage que je vous propose comportera une première étape, logiquement donc, celle du ressenti, celle du goût ! Il me parait primordial d’aborder prioritairement la question sur le plan sensoriel. Tout comme en cuisine, de « grands-chefs du son » existent ! En visant la standardisation du goût, ces passionnés vont disparaitre, remplacés peu à peu par de simples techniciens, réduits au rôle d’interface « homme-machine », ils contribueront malgré eux à l’accélération de cet appauvrissement. Le diktat du son transportable et stockable à moindre frais aura-t-il raison de nos émotions ?

DBTH

La chaleur et la matière, la noblesse et l’imperfection des belles restitutions sonores trouvent pourtant encore de nombreux adeptes et je dirais même que la résistance s’organise ! Que dire des sites tels que Qobuz qui propose des téléchargements au format Master Studio en 24 bit? Malgré cette démarche à contre courant, il rencontre un succès grandissant ! Que penser des réunions deGuillaume HURET, les soirées « Rejoice durant lesquelles il diffuse une sélection de titres, « à fort supplément d’âme », selon ses propres termes, sur une installation Hifi très haut de gamme. Ces événements font salles combles et il doit louer des espaces sans cesse plus importants. Aurions-nous imaginé des soirées « diffusion », sold out, il y a 20 ans ? Sans oublier l’initiative de Neil Young, excédé par la compression ambiante, il cherche à promouvoir un format audio, « le Pono » , non destructif, plus exigeant encore que les normes d’encodage CD, emboitant le pas à d’autres formats qui préservent l’intégrité du son comme le FLAC, l’ALAC ou le WavPack ! Certains artistes cherchent même à rendre leur production plus organique en y ajoutant scratchs, craquements de vinyl et déformation de timbre de type vieux téléphone. Bref beaucoup résistent à l’aseptisation et souhaitent recréer des conditions d’écoute et de respect qui s’y associent

Après avoir raisonné « organique », je retracerai l’histoire de l’évolution des méthodes, des technologies et surtout des compétences de l’ingénieur du son. Une photographie technologique, en quelque sorte. Nous diviserons cette deuxième partie du parcours en trois périodes distinctes.

Don't believe the hype

Premier arrêt : les années « tout analogique ». Les principes et méthodes employés à l’époque si riches d’anecdotes en tout genre et l’abandon d’un aréopage de petits métiers d’hyper spécialistes qui enrichissaient indubitablement la variété des productions audio.

Viendront ensuite les années charnières : Le CD est apparu. Elles modifient en profondeur les habitudes du public, des professionnels et bouleversent surtout les contraintes du mastering ! Les guerres de religion font rage chez les usagers comme les professionnels ! Il nous faudra parler de l’exception latine qui nous fera adopter des multipistes numériques encore balbutiants alors que les anglo-saxons exploiteront l’âge d’or de l’analogique certes vieillissant mais fiable et performant !

Nous survolerons enfin notre panorama d’aujourd’hui, constitué de l’omniprésence de l’ordinateur accompagné de son inévitable interface « écran-clavier-souris » et de ce que cela apporte et enlève au processus de création. Nous parlerons de l’outil pédagogique dont nos professions se sont enfin dotées pour apporter un enseignement digne de ce nom. Et enfin, évoquerons l’avènement du home studio, et de la confrontation des « gens de son » aux formats d’écoute finale. Peut-on aujourd’hui confectionner un son compatible avec la diffusion sur le net et de véritables exigences audiophiles ?

Le troisième grand volet de cette saga envisagera les deux grandes hypothèses d’école pour demain :

Le premier scénario, pessimiste certes… pourrait voir l’avènement du règne définitif et incontesté du son « pasteurisé ». Du fait du contexte économique général et du secteur en particulier, le nivellement se fera bien entendu par le bas, accompagné de sa baisse des performances, (non ? Est-ce possible de l’abaisser encore ?) La passion des « forcenés du son » sera alors comparable aux images noir et blanc des pionniers de l’âge d’or de l’aviation… Les musiciens et les créateurs pourraient décider de se passer définitivement des professionnels du son, les plus habiles d’entre eux tentant de compenser une faiblesse technique par un apport de goût et de créativité, leurs installations visant à satisfaire aux seules exigences ergonomiques du musicien. Les rôles d’ingénieurs, de réalisateurs et de musiciens seraient alors concentrés dans les mêmes mains. Rappelez-vous, nous avons déjà un vécu cela, musicalement ! La disparition des grands groupes !! Les Beatles s’ils n’avaient pas rassemblés les – pourtant très forts – talents individuels de leurs membres, Sir George Martin inclus, auraient ils été capables de produire un « tube » par mois durant 5 ans ? Pas certain !

Hypothèse numéro 2 plus optimiste et probablement un peu utopique : Nous pourrions imaginer une prise de conscience massive et déterminée des acteurs qui devant l’appauvrissement manifeste, se mobilisent pour la sauvegarde des « saveurs » et réinventent outils et méthodes au service de la sensation.

DBTH

Bien entendu, aucun de ces deux cas d’école ne peut fidèlement refléter la réalité de demain et nous nous situerons probablement quelque part entre ces deux pôles extrêmes, à la fois dans le regret de la noblesse passée de nos professions et l’émerveillement devant la créativité et l’inventivité de certains qui auront su utiliser les contraintes du marché pour mieux rebondir !

J’en suis certain, la passion survivra et le petit groupe d’irréductibles que nous formons fera école. Je ne peux imaginer que la musique classique, le jazz et certaines productions pop puissent se satisfaire de méthodes de production ayant tout sacrifié à la déesse « Productivité »

Au cours de ce voyage, je souhaite interviewer des artistes, des producteurs, bref… des acteurs de ce marché. Je souhaite également vous faire réagir, vous faire part de liens, d’albums, de courants esthétiques qui ont traversés ces 35 dernières années afin de vous donner des points de repère. Nous constaterons ensemble que certains artistes font aujourd’hui merveille et révolutionnent la création en faisant mentir tous les raisonnements…

A très vite pour le deuxième volet de cette reflexion…

L’article dans son contexte original, sur le blog DBTH

La qualité sonore (I): Le diktat du son transportable aura-t-il raison de nos émotions ?