Il y a quelques mois, mon ami Félix Seremes (Flexi’Studio) avait souhaité me poser quelques questions sur mon itinéraire et mes choix professionnels… C’est avec plaisir que je le recevais alors dans mon studio de Versailles. Il a eu la gentillesse de transcrire cet interview par écrit et je vous en propose donc aujourd’hui la première partie

 

F.S. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir d’être reçu à Versailles au studio de Pierre Jacquot.

Bonjour Pierre, ça va?

P.J. Bonjour Félix, oui super!

F.S. C’est un immense honneur que tu nous fais de nous recevoir dans ton antre de création!

P.J. Ça me fait plaisir. J’aime bien y accueillir des gens, c’est fait pour ça en plus !

F.S. Tu es un grand homme du Son et de l’Audio et tu as pu collaborer avec de grands noms comme Dee Dee Bridgewater, Phil Collins, Deep Fostest ou Ray Charles…

P.J. Disons que ça fait un petit moment que ça dure… (sourire) donc automatiquement, mécaniquement, quand on travaille très longtemps, on finit par travailler avec plein de gens. Oui, j’ai cette chance de côtoyer des artistes de grande renommée, mais ce qui est surtout important c’est la passion qui m’anime. On va dire, comme quelques personnes d’ailleurs qui m’ont inspiré, j’ai fait une espèce de double carrière dans ma vie : … à la fois du live et du studio, beaucoup et donc le fil conducteur pour moi, cela a été les artistes plus que le matériel ou les studios eux-mêmes. Je me suis trimballé un peu partout avec mes projets et toujours en essayant de garder ce fil rouge qui était l’esthétique qu’on fabriquait avec les artistes.

F.S. Cela te donne une expérience assez large; tu parlais du live mais tu as fait aussi de la TV?

P.J. Oui, plus je fais de choses et plus ça m’amuse en fait. Il m’est même arrivé un moment donné de regarder un peu comment les retours de scène fonctionnaient…Je me suis donc débrouillé pour prendre les retours d’une tournée que je faisais. Sur une autre grosse opération, je me suis chargé des intercoms, là aussi, je voulais savoir comment ça marchait. Très globalement, c’est le Son qui est autour de la musique qui m’intéresse le plus, mais quand je me suis retrouvé projeté « superviseur son de l’opening ceremony » de la Coupe du monde FIFA 2010, ce n’était plus beaucoup de la musique mais c’était super intéressant quand même ! Donc, quand on fait du son, ça finit par déteindre sur l’ensemble des choses que l’on réalise et tout ce qui touche au son et plus spécialement la musique m’intéresse.

F.S. Tu as notamment ces deux casquettes, donc quelle différence fais-tu entre le live et le studio?

P.J. C’est énorme, mais en fait l’argument qui fait tenir tout ça c’est deux énergies différentes. Je trouve que notre carrière de personne de Son ressemble beaucoup à celle des musiciens. On est très proche de ce que pourrait vivre un musicien tout au long de sa vie professionnelle et on s’étonnerait s’il disait: “toute ma vie, je n’ai fait que du studio ou que de la scène”. On se dirait qu’il lui manque une forme d’énergie. Je crois que les deux sont très complémentaires. Après, je peux concevoir qu’il y ait des gens dont le tempérament ou la personnalité poussent à faire plutôt l’un que l’autre. Mais, je conseille en tout cas aux gens qui débutent de toucher un petit peu aux deux parce l’une va être très large et va demander une espèce de sens de l’essentiel, alors que l’autre est un peu plus “labo” et on peut revenir sur les choses et du coup, les approfondir. Bref, moi j’aime les mixages albums des gens qui ont fait du live et j’aime les sonorisations des gens qui ont fait du studio.

F.S. Comment tu es venu à l’Audio pour en faire ton métier ?

P.J. Moi, c’était la musique. Je me préparais à devenir arrangeur et lors de ma toute première séance (j’étais très jeune), j’ai vu ce qui se passait de l’autre côté de la vitre. J’ai trouvé que la personne qui était derrière la console avait beaucoup de chance et avait un pouvoir immense sur le son qui passait entre ses mains.

J’ai voulu bifurquer vers cet aspect plus technique des choses et j’ai eu de la chance parce qu’on m’a aidé. J’ai pu monter un premier studio en province dans lequel mes exploits étaient confidentiels, (tant mieux !) Donc, je pouvais faire pleins de mauvais enregistrements sans que ça se sache (rire !) J’apprenais ce que je faisais au fur et à mesure que les choses se présentaient et j’ai vite senti les limites de ce type d’apprentissage. Donc, je me suis débrouillé pour assister des grands noms du studio pour déboucher de fil en aiguille, sur la direction du studio d’Auteuil qui était un studio parisien important. On me l’a mis entre les mains parce que la personne qui s’en occupait venait de décrocher un très gros marché d’équipement pour Canal+. Je suis devenu un très jeune patron de studio et je regardais même travailler les gens que j’embauchais.  Après, il y a eu l’aventure anglaise chez “Real World” (le fameux studio de Peter Gabriel) et puis forcément les choses se sont accélérées.

En fait, on s’aperçoit qu’une carrière de ce type peut progresser à une certaine vitesse, puis d’un seul coup, il y a des effets de paliers à base de rencontres, de gens, ou même de lieux ou de méthodes… autant de coups d’accélérateur obligatoirement suivis par de nouvelles périodes de digestion. Il faut cultiver sa chance ! Philosophiquement, j’aime bien l’idée qu’on doive alimenter la chance qu’on peut avoir et qu’on saisisse des opportunités.

F.S. Il faut y croire vraiment effectivement !

P.J. Oui, je crois qu’il faut avoir beaucoup d’envie en soi. On peut avoir un talent relativement modeste et être complètement passionné ! Si on meurt d’envie de faire ce métier, on a une chance de le faire. Et on peut être à l’inverse extrêmement doué, mais si on ne se donne pas la peine d’apprendre les choses, de les faire dans l’ordre et de communiquer avec les gens, le reste n’arrivera jamais.

F.S. Qu’est-ce que tu dirais de l’attitude de l’ingénieur du son par rapport à sa clientèle, par rapport aux gens avec lesquels il collabore? Quelles sont les qualités qu’il faut avoir?

P.J. Ta question me conduit à la 3ème activité que j’ai aujourd’hui qui est la pédagogie.

Je pense qu’il faut être très pédagogue de ce qu’on fait. C’est à dire qu’il faut l’aimer assez pour l’expliquer aux gens! D’abord, parce que ça nous oblige à revisiter ce qu’on sait déjà en leur réexpliquant; quelquefois ça lève des incohérences, ensuite parce que ça permet d’embarquer les gens qui sont autour de soi, (avec qui on travaille), dans le même bateau.  Du coup, on est vraiment en train de ramer tous dans la même direction et cela fédère les gens.

Moi j’ai vu plein de sessions (lorsque j’étais jeune assistant), dans lesquelles les ingénieurs étaient doués, mais éun peu autistes; ils ne communiquaient pas beaucoup et les clients trouvaient le temps long derrière eux. Ils ne se sentaient pas concernés par ce qui se passait.

Aujourd’hui, je m’aperçois que lorsque j’explique ce que je fais, je suis en train de faire en sorte que les gens soient plus patients, plus concernés et qu’ils aient envie que j’y arrive. Là aussi, ça fédère les énergies et ça va dans le bon sens.

Concernant la deuxième chose par rapport à la clientèle et aux artistes, Patrice Cramer (grand ingénieur du son) disait souvent : “On est tenté de prendre le contrôle des machines avec lesquelles on peut faire beaucoup de choses, mais ce n’est pas l’objectif”.

L’objectif c’est de le mettre au service de ce que l’on veut faire à moins que l’on co-réalise un album avec l’artiste, auquel cas on a effectivement la possibilité de modifier les choses.

Toutefois, il faut toujours faire preuve d’une certaine humilité et je pense qu’il ne faut pas vouloir tout refaire à sa sauce. Il faut également des qualités d’écoute. C’est très important parce que tout comme un musicien accompagnateur, on peut facilement aller dans des directions qui n’intéressent pas la production ou qui ne la motivent pas forcément. Donc, il faut rester centré sur les choses pour lesquelles on est là. Ce qui va avec ça, c’est de la lucidité: Savoir pourquoi on est là, ce qu’on attend de nous? Savoir si on est en train de faire quelque chose qu’on a déjà fait ou s’il faut inventer quelque chose de nouveau.

Il faut vraiment se mettre au service de l’artiste et de sa production. Donc connaître les albums qui ont précédé (s’il y en a), connaître ce qu’il aime et même faire un tour dans ce qu’il n’aime pas du tout, pour savoir quoi éviter.

C’est de la communication, c’est du langage, c’est du briefing avant de démarrer, c’est de l’écoute ensemble.

Retrouvez la deuxième partie de cet entretien ici

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