2ème volet de cette ré-édition du triptyque de 2013.

Lien vers le 1er volet

 

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2ème volet

Quelle ne fût pas ma surprise de constater le nombre, la vigueur et l’implication des réactions suscitées par le premier volet de mon article dans ce blog ? Mon désir était d’interpeler… objectif atteint, sans aucun doute tant les commentaires relevaient d’un ton passionné, enflammé, presque!

Légère entorse à ma feuille de route et avant d’en reprendre le fil en me transformant en historien d’un jour, je souhaite consacrer cette deuxième partie aux familles de pensées que j’ai rencontrées dans vos commentaires afin de proposer mon approche et ma synthèse à quelques uns.

Rendez-vous compte ! Les vues cumulées sur le blog de Virginie et sur les réseaux sociaux nous révèlent qu’au moins 14500 visiteurs sont passés par là. Sans doute plus, lorsque vous lirez ces lignes ! Le bouche à oreille a dû fonctionner à plein, bien que je ne sois pas certain que l’expression soit très adaptée au Net!

Pour certains, mes propos ont réveillé ou alimenté une certaine nostalgie : il n’y avait de vérité que dans le passé. Le fait de vendre des albums « au titre » se comparait au découpage d’un Van Gogh dont on aurait aimé chaque tournesol indépendamment ! Un de mes amis, me disait qu’il avait la sensation d’un Bocuse qui commercialiserait du pâté pour chat ! D’autres, faisant preuve d’une sensibilité assez proche bien que plus modérée, ont relevé le recul patent de l’exigence de l’auditeur et rendent les grands acteurs de l’audio-informatique responsables d’avoir sciemment mis en scène un scénario dont l’argument marchand balayait tout sur son passage. Pour eux, c’est générationnel : on ne sait plus écouter, on ne prend plus le temps de le faire, la « zapomanie » est ambiante, le survol est une règle et le mal est fait !

pierre jacquot don't believe the hype

Certains de mes confrères semblaient au contraire, bien résignés à tirer le meilleur parti possible du peu de marge de manœuvre qui nous reste à nous, hommes de son, en prêchant les vertus des facultés d’adaptation ! Nous devons, d’après eux, nous transformer en d’habiles équilibristes… ce sera le sommet de notre art ! Je vous l’ai dit… les passionnés ne sont pas morts !

Des lecteurs plus jeunes, sans doute, s’émerveillaient devant la possibilité de pouvoir se procurer, (par des circuits très spécialisés, il est vrai), des copies prétendues identiques aux masters de studios. Mais, chers amis, ces « copies » sont toujours masterisées et leur dynamique effective est déjà bien entamée… Certaines « majors » auraient même gonflé artificiellement leurs masters pour leur faire afficher des normes qu’ils n’ont jamais eues et ce, sans aucun bénéfice qualitatif, bien entendu ! Tromperie ! On me faisait remarquer, à juste titre, que le label « remasterisé » avait été largement galvaudé ces dernières années !

J’ai souvent participé à ces débats contradictoires et certains me faisaient remarquer assez justement que les cassettes audio ou les mange-disques de notre jeunesse n’étaient pas particulièrement fidèles,« soniquement » parlant. C’est vrai, pourtant, s’ils le permettent, je leur objecterais que la hiérarchie des supports était limpide, à l’époque. Le statut des originaux et des copies était clairement établi. Le studio master était une bande ¼ ou ½ pouce en 38 ou 76 cm/s Dolby ou non, elle ne servait qu’à la gravure. Les bandes d’écoute que quelques privilégiés détenaient étaient des bandes ¼ pouce en 19 ou 38, (hifistes forcenés, ils les écoutaient religieusement sur des Revox hors de prix), ensuite seulement, venait le vinyle de qualité, (quelquefois accompagné d’un « souple » – qui n’avait de souple que le nom puisqu’il est très vite devenu une galette très lourde et… rigide – échantillon gravé destiné à une écoute témoin unique de la gravure !) et puis, si on ne pouvait faire autrement, enfin des copies cassettes dont tout le monde connaissait les défauts très perceptibles, (souffle, pleurage, distorsion, aigus tronqués par des duplications haute vitesse) ! Cerise sur le gâteau ; tous ces supports vieillissaient vite et facilement, quand ils ne nous restaient pas tout simplement dans les mains ! Je suis bien certain que les « plus-de-40-ans » gardent des souvenirs émus de rubans dévidés et froissés, outrageusement emmêlés dans la mécanique d’un lecteur de K7 « option-broyeur », leur signifiant la perte inéluctable du chorus de guitare ou du solo de trompette de leur morceau favori… chèrement acquis. Bizarrement, la vulnérabilité de ces supports mécaniques les rendait attachants car précieux et uniques. Le soin avec lequel une pointe de diamant se posait sur le début du sillon, les gestes précis et soigneux de l’auditeur lors de la manipulation, l’obligation de la mise en sous pochette… tout démontrait l’attachement que nous portions à nos disques. Nous étions dans le domaine de « l’horlogerie-affective » et nos gestes conféraient une certaine noblesse à notre discothèque.

pierre jacquot Don't believe the hype

Force est de reconnaitre que le CD d’abord, (prétendu inaltérable dans un premier temps !), nous a éloigné de cette manière de « gérer » nos supports musicaux. Que dire, alors, de la dématérialisation complète! Apple l’avait bien compris ! Le 30cm et le CD disparaissant, il fallait que l’affectif de l’objet se reporte sur le lecteur. Leurs iPod, iPhone puis iPad se devaient d’être beaux et de proposer l’effeuillage de leur « Cover-flow », pile de disques virtuels qui se rapproche au plus près des gestes préliminaires à nos écoutes passées !

Que dire enfin, de la convergence de la multiplication des « studios domestiques » et de l’explosion de l’internet, outil de promotion totalement accessible à qui veut bien s’en donner la peine ? Sinon qu’il a forcément un peu banalisé la création musicale. Il faut désormais trier avec acharnement parmi les propositions d’écoute qui nous sont faites ! Souvenir ému de mes vertes années durant lesquelles nous rongions notre frein dans l’attente du nouvel opus de nos artistes fétiches ! La sortie d’un disque était alors un évènement incontournable et l’information officieuse qui l’accompagnait, (les annonces officielles étaient rares et réservées aux initiés !), lui conférait un effet clanique quasi magique ! Nous étions « dans la boucle » car nous savions que « Untel » avait « sorti » son nouvel album. Nous l’avions entendu, chez un grand frère de copain…ou pas. Nous décidions d’y consacrer l’argent de poche du mois… ou pas. Les commentaires allaient bon train sur l’impression que nous en gardions. Les artistes s’étaient-ils montrés à la hauteur ou avaient-ils démérité ? Les albums successifs étaient ainsi comparés à leurs prédécesseurs, (qui du coup restaient bien vivants), et nous conservions une vision « carrière » de l’artiste ou du groupe ! Aujourd’hui, époque à cycles courts, nous ferions plutôt partie du « groupe Facebook des gens qui aiment untel », ou qui adhèrent à sa « page fan » ! Sans doute un peu moins romantique… non ?

pierre jacquot don't believe the hype

Nous nous sommes finalement rejoints, mes débateurs et moi, sur la nécessité qu’il y avait à éduquer nos futures générations, à leur transmettre le respect qui accompagne l’écoute d’un moment d’exception. C’est bien là que réside le noyau dur de la résistance ! Je suis heureux de constater que mes enfants et beaucoup de ceux de mes proches restent attentifs à la diversité, que leur curiosité reste en éveil ! J’aime à voir les fils et filles de grands musiciens avec qui j’ai souvent collaboré, devenir à leur tout des ténors de la musique actuelle. J’aime lorsque mes assistants de 20 ans me tirent par la manche jusqu’à un morceau ou un groupe que je n’aurais peut être pas remarqué tout seul et qui révèlent un album astucieux et économe que nous n’aurions pas renié… même avec les moyens pharaoniques de l’âge d’or des grands studios ! Sans nul doute, ces gens-là ont « reçu » une éducation, un héritage musical et leur inventivité s’appuie sur des bases solides et enracinées ! N’est-ce pas un véritable réconfort que de voir Prince « himself » remettre le Grammy de l’enregistrement de l’année à Gotye, l’un de ses plus grands fans, pour « Somebody that I used to know», production initiée dans son home studio (le garçon a une très solide culture du son !), soutenue par les moyens certainement comptés de sa production indépendante. Les 380 millions de vues Youtube en quelques semaines ont certainement fait la différence et tous s’accordent à dire que cet artiste s’inscrit dans l’héritage des grands tels que Sting ou Peter Gabriel! Bel exemple de passage de relai !

Bref, vaste débat mais il a lieu et j’en suis heureux !

Comme annoncé, je reprendrai, lors de mon troisième volet, le parcours « historique » de notre corporation mais je m’arrêterai également sur la « compression dynamique » désormais omniprésente dans la matière que nous entendons, sur l’art de la musique d’ambiance ou d’accompagnement, sur son partenariat avec les marques, certains y voient un rebond possible pour notre industrie ! Il y a quelques années, Patrice Lazareffavec écrit un article passionnant sur le studio professionnel, lieu de transmission du savoir. J’aimerais également le relayer et proposer cette thématique à votre réflexion… Il y a beaucoup à dire, n’hésitez surtout pas à vous manifester !

A très vite!

Si vous souhaitez nous encourager à la poursuite de ce débat au sein des colonnes de DBTH, n’hésitez pas à visiter la page Facebook de mon studio http://www.facebook.com/pierrejacquotstudio ou à entrer en contact avec moi via mon site www.pierrejacquot.com

L’article original dans les colonnes de DBTH

La qualité sonore (II): Le diktat du son transportable aura-t-il raison de nos émotions?