Le lieu et l’outil
Il est grand temps d’examiner vos outils et nous allons commencer par le pilier principal de votre installation : votre monitoring. Juste après vos oreilles, il s’agit du maillon le plus important de la chaine! C’est à travers lui que vous percevez et pouvez exprimer votre talent, votre goût et votre savoir faire! Sa qualité principale doit rester la fiabilité et si le choix de vos enceintes reste très personnel, le milieu dans lequel elles évoluent demeure primordial. Les paramètres acoustiques et ergonomiques de votre espace sont déterminants. Vous devez pouvoir vous fier à ce que vous entendez et à ce que percevront les personnes qui partagent votre session de mixage. Ce n’est pas du tout optionnel. Même s’il reste assez élémentaire, le raisonnement acoustique doit exister dans la conception de votre cabine!
Premier élément fondamental: le couplage!
Je lis ici et là que telle paire d’enceintes est miraculeuse, qu’elle restitue bien plus fidèlement la dynamique de telle ou telle partie du spectre… Très bien! Mais à quel moment envisage-t-on qu’une enceinte dans un environnement n’est pas du tout équivalente à cette même enceinte dans un autre? C’est pourtant essentiel! Lorsqu’elles sont mesurées à des fins de tests, les enceintes de monitoring le sont dans une chambre anéchoïde ou chambre sourde. La fonction de ce type de lieu est d’annuler autant de réflexions que possible afin d’éviter de mesurer… la pièce! C’est le seul et unique moment où elles diffuseront dans ces conditions! Heureusement, d’ailleurs! L’impression d’écoute à l’issue d’un passage en chambre sourde est tellement peu naturel qu’il en est fortement désagréable! A l’avenir, les spécificités de vos enceintes s’ajouteront à celles de votre pièce afin de constituer un cas particulier, unique puisqu’il ne ressemblera à aucun autre: votre écoute!
C’est donc tout l’enjeu de la conception et du tuning d’un lieu afin qu’il puisse accueillir une écoute sans trop la déséquilibrer ou même l’influencer. Aujourd’hui, du fait de l’exploitation de « near field monitors », (moniteurs de proximité), largement majoritaires dans les cabines actuelles, on peut désormais simplifier un peu les traitements acoustiques. En utilisant ce type d’écoute, la surface idéale d’écoute de la pièce (Sweet Spot ou Golden Spot) est plus réduite, plus proche… les pressions acoustiques visées sont moindres, (du coup… la mise en réaction de la pièce est moins importante!) et les transducteurs sont situés plus en proximité des utilisateurs tout en étant éloignés des parois. Bien sûr, l’écoute est moins immersive que dans une écoute dite « spatiale » et spectralement comme dynamiquement moins complète. On ne peut pourtant pas poser négligemment ses speakers « au petit bonheur » et faire n’importe quoi!
Rappelons rapidement les qualités indispensables d’un poste de travail et d’une cabine équilibrés
Disposition du monitoring stéréo et triangle équilatéral
Le triangle équilatéral reste la formule magique ! Vous êtes l’un des sommets de cette figure et les deux enceintes en sont les deux autres. Comme votre cabine n’est pas une chambre sourde (heureusement), le son qu’elle émet va se réfléchir ou se disperser, dans l’axe et hors axe. Si vous souhaitez mixer à plusieurs, il vous faudra agrandir ce triangle afin que plusieurs personnes puissent cohabiter dans cette zone d’écoute équilibrée appelée « sweet spot » ou « golden spot ». Les enceintes seront donc plus éloignées de vous et le traitement de la pièce devra être beaucoup plus poussé ! Dans la cabine principale du studio A d’Abbey Road Paris (Photo d’en tête de cet article) dans laquelle j’interviens souvent et que je connais par coeur, il s’agit d’une des grandes réussites. La propagation! Le champ stéréo est encore cohérent lorsqu’on est assis dans le canapé qui est au fond de la cabine. Habituellement, ce spot d’écoute est inutilisable! Même en se décentrant très fortement vers l’une des ailes de l’immense SSL 9096 K, l’enceinte opposée reste perceptible! Bien sûr, il s’agit d’une prouesse de design acoustique qui n’est pas facile à réaliser et qui reste plutôt rare!
Si de votre côté, vous êtes seul à travailler dans votre « control room », il est assez simple de respecter quelques recommandations basiques afin qu’elle vous offre un comportement acoustique fiable.
2ème conseil important: Il vous faut absolument éviter de coller ou même trop rapprocher vos enceintes des murs et, a fortiori, des angles sous peine d’engendrer quelques phénomènes nuisibles
Revoyons le comportement d’une enceinte dont on bloque le rayonnement grave omnidirectionnel
Ce qu’il faut bien comprendre : lorsque l’enceinte est posée loin de toute surface, disons pour l’exemple « suspendue au milieu d’une pièce de grande taille », son énergie dans le grave (omnidirectionnelle) rayonne à 360° autour d’elle (en 3 dimensions)
Si vous la rapprochez significativement d’un mur, vous forcez l’enceinte à ne diffuser que dans la moitié de l’espace disponible. Dans le registre grave, cela équivaudra à un ajout théorique de 6 dB ! Qui plus est avec une distorsion de phase importante puisque votre signal retardé aura parcouru le trajet « enceinte-paroi(s)-auditeur » alors que le reste du spectre vous parviendra « en direct »
Imaginons maintenant que vous la disposiez dans un coin (deux parois) ! Et voici 6 dB de plus et donc 12 dB de graves imprécis qui vous arrivent désormais aux oreilles !
Bien sûr, il faut arrondir un peu ces calculs et encore une fois, ces accidents de propagation ne sont pas valables sur toute l’étendue du spectre sonore. Il en résulte que le boomer est principalement affecté et c’est lui que le constructeur vous propose souvent d’atténuer plus ou moins dans le grave (fréquences inférieures à 125-150 Hz). Voici l’utilité du petit switch « Full-Half-Quarter », que l’on trouve derrière nombre de monitors amplifiés.
Bien entendu, cette petite atténuation ne résout pas l’intégralité du phénomène puisque la propagation omnidirectionnelle du grave coïncide rarement avec la stricte fréquence de coupure du boomer. Disons qu’elle atténue simplement un peu ce phénomène d’ajout de graves parasites!
Vous l’avez compris, bien placer ses enceintes est encore plus important que de bien les choisir !
Le temps de réverbération moyen d’une régie
Contrairement à une idée reçue, traiter une pièce ne se résume pas à l’absorption! Les échos francs sont souvent diffusés et participent à la création d’une réverbération indispensable à la perception naturelle du message sonore. Fort heureusement, l’époque des cabines et plateaux super mats est révolue!
Si vous alternez les matériaux absorbants et réfléchissants, veillez à obtenir un temps de réverbération moyen de 200 à 400 ms qui est souvent considéré comme à la fois naturel et précis. Là où l’affaire se complique : il faut qu’il soit à peu près identique sur tout le spectre sonore!.
Implantation
La cabine idéale ou… le compromis par l’aménagement?
En partant d’une feuille blanche, votre « control room » devrait être constituée de murs qui ne sont pas parallèles. Elle ne devrait pas comporter d’angles droits. Il est rare que l’on puisse respecter rigoureusement l’ensemble de ces contraintes. Heureusement, dans la réalité, nombre d’installations de qualité peuvent être aménagées à partir de pièces plus ordinaires. Les habillages et revêtements s’efforceront alors de reproduire cette configuration idéale en aménageant l’existant !
Il y a 14 Commentaires
Bonjour et merci pour cette série d’articles.
Il est toujours bon de rappeler qu’une paire d’enceintes seules, aussi chères soient elles, ne feront pas de miracles si l’acoustique du local en question est négligée.
En home studio, beaucoup de novices veulent se renseigner sur quelles enceintes acheter sans se soucier de l’environnement dans lequel elles travailleront. Au final, les surprises sont nombreuses à l’écoute de son mix dans différents endroits.
Je dirais pour finir que même si le local et son acoustique est loin d’être parfait, l’important est de bien connaître ses défauts (au moins en avoir conscience): ondes stationnaires, gros boost ou creux à certaines fréquences… Connaître parfaitement son système d’écoute (enceintes + local) est primordial.
Merci Martin!
Totalement d’accord avec votre commentaire. Faute d’obtenir un spectre aussi plat que possible, (est-ce vraiment souhaitable, d’ailleurs?) il faut bien connaitre les caractéristiques et donc… les éventuels défauts de son écoute.
Sans faire des miracles, cette technique permet au moins d’être plus vigilant sur les zones de spectre perturbé!
Bonsoir Pierre.
Article très clair. J’aurais voulu voir l’intérêt du « live end » » dead end » et surtout votre analyse dessus.
Autre chose, dans le cas d’une enceinte placée en coin, c’est bien +12db de boost dans le bas du spectre ? Instinctivement j’aurais vu +9… Quoiqu’il en soit c’est énorme.
Merci Matthieu pour cette réaction à mon article. Concernant le LEDE (Live End Dead End, pour les gens qui ne connaissent pas cette terminologie), on en connait aujourd’hui bien les limites et (presque) plus personne ne conçoit aujourd’hui une cabine à la Don Davis (concepteur du procédé). Mon avis est que s’il s’agit d’une acoustique dans laquelle on contrôle assez parfaitement la prise, il est difficile de mixer dans cet environnement.
On peut arbitrer grossièrement un mix en éléments discriminants, (ils vont viser à nous rendre la matière distincte et lisible) et en éléments agrégeants qui vont travailler « le collage » du mélange afin de les faire apparaitre comme étant de la même famille. Une cabine LEDE est très discriminante et va naturellement pousser un mixeur peu habitué à exagérer un peu les réverbérations, les « upward compressions » et le travail du ciment sonore. Le LEDE pouvait se justifier lorsque la posture de l’auditeur était celle d’un « hifiste » derrière ses enceintes parfaitement disposées dans une écoute maitrisée… Il devient presque anachronique lorsqu’on observe des conditions d’écoutes aussi variées que celles d’aujourd’hui.
Concernant l’ajout du « back wave » d’une enceinte adossée, on fait l’hypothèse que l’on double son énergie chaque fois que l’on empêche la moitié du rayonnement. La théorie nous amène donc à ajouter 6dB chaque fois que l’on divise ce volume en deux. Encore une fois, c’est un modèle théorique qui ne se vérifie pas tout à fait mais qui pousse à la vigilance et nous propose un ordre de grandeur des ajouts sauvages que cela suppose!
A propos du LEDE, recommanderiez-vous donc d’alterner absorbeurs et diffuseurs un peu partout plutôt que de les séparer par zone ?
Difficile de recommander une méthode préférable pour une configuration que je ne conseille pas ;-D
Disons qu’une absorption globalement répartie me semble (souvent), plus naturelle que l’absorption stricte par zone. Impossible toutefois de généraliser sur un tel sujet. Une étude acoustique sérieuse se doit d’être et de rester un cas particulier!
Bonjour Pierre, merci pour cet article très intéressant.
Le mixage sur enceintes garde-t-il sa pertinence quand beaucoup de musique est écoutée au casque ou désormais sur des enceintes bluetooth mono (ex JBL Go) ?
Dans la mesure où ce type d’écoute (JBL Go ou autres enceintes nomades bluetooth) ne permet pas de transcrire autant de détails qu’une paire d’enceinte, n’y a-t-il pas un risque de perdre du temps à mixer des subtilités qui ne seront de toute façon pas rendues dans la plupart des cas (en particulier tout ce qui a trait à la spatialisation dans la mesure où ces enceintes sont souvent mono).
Ainsi est-ce que mixer sur des enceintes plus rustiques et se rapprochant plus du rendu auditeur ne permet pas d’aller plus vite à l’essentiel ?
Cette question est probablement ancienne et je n’ai pas d’avis tranché sur la question car j’imagine qu’il y a du pour et du contre mais je serai curieux de connaitre votre opinion là dessus.
Merci d’avance.
Bien à vous.
Bonjour Jean Charles,
Cette question est tellement intéressante et appelle une réponse à ce point complète que je pense qu’elle va influencer l’écriture de mon prochain article.
Vous me pardonnez de réserver ma réponse pour ce prochain rendez-vous? Du coup je pourrai la traiter vraiment en profondeur!
Merci à bientôt
Je vous en prie et vous en remercie ! Au plaisir de vous lire.
Bonjour Jean-Charles, bonjour Pierre,
Je me suis posé les même questions. Je pense quand même que le mixage avec de bonnes écoutes et bien placées sont indispensables, mais je commence à être partisan de ne pas trop passer de temps sur des subtilités qui ne seront pas ou peu appréciées à leur justes valeurs (à la fois artisque et en regard du temps consacré) sur du matériel d’écoute peu adapté et qui ne pourra, techniquement, pas les retransmettre.
Je suis curieux de connaître le point de vue de Pierre à ce sujet.
Bien à vous,
Bonjour Thierry,
Merci pour ce complément au comment de Jean-Charles.
Je vais également développer mon point de vue sur cette vision dans mon prochain volet… promis! A très vite!
Bonjour Pierre,
Très bon article auquel j’adhère complètement.
Pour ma part j’ai une pièce de 25m2 environ, une paire de JBL Studio Monitor 4410 1ere version (avec atténuateur médium et aigu), placées en triangle et intègrées dans le mur dans du parpaing et béton et légèrement inclinées dans le plan vertical, le mur opposé est à 5.50 m environ et est semi reflechissant/absorbant. J’ai fait un plafond incliné dans le 1er tiers à partir des enceintes et des murs non parallèles, en fait j’ai pu faire une boite dans la boite. J’avoue que le résultat est pas mal du tout. Et pour compléter j’ai une paire d’écoute de proximité Tannoy à 1m en recul du mur des écoutes principales.
Re bonjour,
Le placement des enceintes est aussi important dans une petite salle et que dans un studio : j’ai eu l’occasion de proposer une modification dans une salle de 200m2 env. C’était un système bi amplifié, avec les enceintes medium/aigues suspendues au plafond (pas de problème) et avec un sub collé dans un coin, résultat les graves étaient baveux, très mal définis, j’ai suggéré de décoller le sub d’un mètre : résultat problème quasi réglé ! Peut-être pas parfait mais c’était écoutable.
Merci Thierry, Et oui… les subs et les parois… Le débat est sans fin!!